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Électricité de Strasbourg et la libre concurrence dans le marché de l’énergie

Les consommateurs de Strasbourg et sa région le savent très bien, l’ouverture du marché de l’énergie il y a 11 ans est resté pour eux lettre morte. Pas d’alternative à la puissante « entreprise locale de distribution » Electricité de Strasbourg. A la fois fournisseur et distributeur d’électricité sur un territoire non desservi par les réseaux Enedis et GRDF, l’ES se retrouve en situation de monopole.

Les entreprises locales de distribution (ELD), environ 170 en France, sont un héritage de la loi de 1946 sur la nationalisation de l’électricité et du gaz. 5 % du territoire français (Metz, Grenoble, Strasbourg…) sont concernés par ces monopoles de fait. S’implanter devient alors plus compliqué pour d’éventuels concurrents qui doivent aller taper à la porte des filiales de distribution des ELD qui ne leur facilitent pas forcément la vie.

Si l’ouverture se fait petit à petit pour les professionnels gros consommateurs, cela reste encore impossible pour les particuliers. Il faudrait une demande particulièrement forte pour motiver un fournisseur concurrent à venir s’implanter sur le territoire strasbourgeois. Car rappelons tout de même que la filiale de distribution d’ES n’a pas le droit d’exercer une discrimination envers les fournisseurs alternatifs.

Mais pour qu’il y ait forte demande, il faut que le consommateur trouve un intérêt manifeste à se détourner du fournisseur historique. Il devient donc intéressant de se pencher sur le bilan de l’ouverture du marché de l’électricité sur les territoires non couverts par des ELD.


Bilan peu engageant de l’ouverture à la concurrence : pas de baisse des tarifs significative et augmentation des litiges et des pratiques commerciales douteuses

En 2007, l’UFC-Que choisir n’avait pas soutenu l’ouverture du marché de l’électricité alertant sur « Les risques d’augmentations violentes des prix sur le marché libre […] bien réels. ». De plus, les spécificités du marché de l’électricité ne rendaient pas optimistes quant à une diminution significative des tarifs pour les consommateurs en plus du risque de baisse de la qualité du service. On sait également aujourd’hui que la dérégulation, au cours des vingt dernières années, de secteurs précédemment concernés par des monopoles étatiques, si elle a parfois permis une baisse des tarifs pour le consommateur, elle s’est souvent faite au détriment de la qualité du service et des conditions de travail (Ex : marchés des télécoms…). Autant de raisons qui poussaient au scepticisme quant aux effets positifs mis en avant par Thierry Breton, ministre de l’économie en 2007, de cette ouverture.

7 ans plus tard, dans son rapport de 2014, le médiateur national de l’énergie soulignait un bilan « plus que mitigé » : peu de consommateurs ont changé de fournisseur (environ 15 % en 2017) et les litiges connaissent une recrudescence concernant les fournisseurs alternatifs.

En 2018, les choses ne se sont pas améliorées. Le médiateur national de l’énergie a épinglé ENI, empêtré dans des problèmes de facturation (207 pour 100 000 contrats chez Eni contre seulement 34 chez EDF et 61 chez Direct Énergie.). Total Spring et Engie sont également dans le collimateur avec des taux de litiges respectifs de 89 et 85 pour 100 000 clients, quand la moyenne est à seulement 56.

Engie se classe par ailleurs mouton noir pour ses pratiques de démarchage à domicile. Ses démarcheurs usent et abusent de la confusion possible avec EDF. Au total, les litiges énergie sont en hausse de 19 % sur 1 an, et selon le médiateur Jean Gaubert, la recrudescence des mauvaises pratiques de démarchage à domicile pourrait perdurer. Entre nouveaux entrants et ambition revendiquée de Total qui rachète Direct Énergie après avoir absorbé Lampiris, chacun veut sa part de marché… parfois sans s’encombrer du droit des consommateurs. En 2007, Christelle Paulo, en charge du dossier pour l’UFC-Que Choisir estimait que l’ouverture du marché allait « vraiment compliquer la vie du consommateur. ». Cette prédiction se vérifie.

Du côté des tarifs, on voit peu de différences entre EDF et les fournisseurs alternatifs. Fin 2017, l’offre d’électricité la plus compétitive s’élevait à 415 euros par an – pour un client en tarif « base » – soit 39 euros de moins qu’EDF. C’est à dire une économie mensuelle de l’ordre de 3,25 euros par mois (9% de moins). Cela s’explique par les spécificités du marché de l’électricité peu adapté à la concurrence.

Un marché peu adapté à la libre concurrence : investissements lourds et marge de manœuvre faible

Le montant des factures d’électricité est défini principalement par trois postes de dépense : le coût de fourniture de l’énergie (coût de production, frais de personnel, marketing…), son coût d’acheminement, et les taxes. S’ils veulent faire baisser leurs tarifs, les opérateurs privés ne peuvent jouer ni sur les taxes, fixées par l’État, ni sur la distribution, puisque les réseaux d’acheminement du gaz et de l’électricité n’ont pas été ouverts à la concurrence.

Il ne reste alors plus que les coûts de fourniture. Or une des particularités du secteur de l’électricité et une des principales raisons pour laquelle ce marché est peu adapté à la libre concurrence est qu’il nécessite des investissements lourds et aucun des nouveaux arrivants n’a les moyens de concurrencer l’opérateur historique, EDF et ses 58 centrales nucléaires. Et le transport et le stockage de l’électricité étant compliqués, ils en achètent une bonne partie à ce dernier. D’où la difficulté d’observer des baisses de tarifs pouvant bénéficier au consommateur.

Cette situation avait déjà été anticipée par la plupart des observateurs en 2007, en témoigne la citation suivante tiré des Echos, journal libéral d’ordinaire largement favorable à la libre concurrence : « Dans tous les pays européens où les marchés ont déjà été ouverts à la concurrence, les prix de l’électricité et du gaz ont paradoxalement augmenté, parfois même sensiblement. La conséquence, d’abord, de l’explosion du baril de pétrole, sur lequel sont indexés les tarifs du gaz. La conséquence, aussi, de la faiblesse des nouveaux entrants sur le marché, qui n’ont pas les moyens de production nécessaires pour imposer une véritable concurrence. ». Si les prix ne se sont pas envolés en France, c’est notamment grâce à l’existence d’un tarif réglementé, dont la suppression est recommandée par un rapport de mai 2018 remis au Conseil d’Etat. Si les préconisations de ce rapport étaient suivies, on pourrait alors observer un affolement des prix de l’électricité en France.

La situation à Strasbourg est anormale au regard de la loi applicable. Cependant lorsqu’on examine la situation du marché de l’électricité ouvert à la concurrence en France, les consommateurs strasbourgeois n’ont pas d’intérêt décisif à vouloir changer la donne. Mais nous devons rester prudents parce que nous nous retrouvons dans une situation paradoxale. En effet, dans le cas d’un marché ouvert, les tarifs et la qualité du service sont censés s’autoréguler par le jeu de la libre concurrence. Or, à Strasbourg, il y a un monopole de fait avec une réglementation prévue pour un marché ouvert à la libre concurrence donc moins de garde-fous dans la réglementation. A nous de rester vigilants pour que la qualité du service et les tarifs ne se détériorent pas et pour que les énergies alternatives prennent plus de place et deviennent plus abordables. Et en cas de litige, les juristes de l’UFC-Que choisir du Bas-Rhin sont là pour vous assister.

Sources : rapports du médiateur de l’énergie, UFC-Que choisir, Les échos, Le Monde, La tribune, Bastamag, Le monde diplomatique, rue89strasbourg